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Castille Plichet : Lili

Année 2012/13 • Lycée

Article du 6 juin 2013, publié par PO (modifié le 6 juin 2013 et consulté 332 fois).

Lili

— Bonjour Camille, comment s’est passée ta journée ?

— Très bien, je suis allée à l’école aujourd’hui.

— C’est bien. Tu as joué avec tes amis ?

— Oui, j’ai joué avec Lili toute la journée. Après l’école nous sommes allées nous promener et ensuite nous sommes allées jouer chez elle.

— Tu vas souvent jouer chez elle après l’école.

— Oui, tous les jours, mais avant on mange des glaces et on joue à se cacher dans le jardin devant chez elle. Elle me retrouve toujours, elle est très forte à ce jeu.

— Et quand vous êtes chez elle, vous jouez à quoi ?

— On s’assoie sur la fenêtre et on regarde les gens passer.

Camille était assise dans un grand fauteuil en cuir, elle regardait dehors, les yeux dans le vague, et semblait ailleurs.

— Lili, c’est ta meilleure amie ?

Sans se retourner, les yeux fixés sur un chien qui traversait la route, elle acquiesça d’un signe de tête. Il y eu un long silence, le chien avait disparu depuis longtemps quand elle recommença à parler, toujours tournée vers l’extérieur, tournant le dos au bureau.

— Maman voulait que je vienne ici pour te raconter une histoire, dit-elle lentement.

— Oui, je t’écoute.

— Hier, Lili ne se sentait pas bien, elle pleurait, alors on a marché et on est allé dans un endroit qu’elle aime beaucoup. C’est à l’extérieur de la ville. Dans la forêt, il y a un ruisseau. Quand on y va, on s’assoie à côté de l’eau et on parle. Arrivées là-bas je lui ai demandé pourquoi elle pleurait. Elle m’a répondu qu’elle pleurait parce qu’elle allait devoir partir. On a parlé longtemps près du ruisseau, et quand on s’est levé pour rentrer, il faisait nuit. Alors Lili m’a prise par la main et m’a demandé si on pouvait aller voir mon père avant de rentrer. Lili aime beaucoup mon père, je ne sais pas pourquoi, elle veut souvent aller lui parler.

— J’ai déjà vu ta maman mais je n’ai jamais vu ton papa, parle moi un peu de lui, dit-il, intrigué.

— Papa est très intelligent, il peut toujours répondre à mes questions et il aime bien Lili, alors que les autres personnes ne l’aiment pas. Il ne vit plus avec maman, sa maison est en face de celle de Lili, donc après nos promenades on passe souvent le voir avant de rentrer. Il nous donne toujours de bons conseils et aime discuter avec nous. Je ne comprends pas pourquoi maman ne veut plus parler de lui et j’aimerais bien pouvoir dormir chez lui de temps en temps, mais je n’ose pas en parler à maman parce que je sais que ça lui ferait de la peine...

Toujours tournée vers la fenêtre, elle jouait avec un bout de ficelle qu’elle avait dans les mains.

— Dis moi alors, après vous être promenées, vous êtes allées voir ton papa ? Tu m’as dit que lorsque vous aviez décidé de partir, il faisait nuit. Il devait être très tard, ta maman ne s’est pas inquiétée ?

— Si, je crois que c’est pour ça qu’elle veut que je te raconte cette histoire, alors je continue à te la raconter, dit-elle doucement. On s’est levé et on est sorti de la forêt, une fois arrivées devant chez mon père je me suis dis que maman devait s’inquiéter et que je devais rentrer à la maison. Mais Lili ne voulait pas que je parte. Elle m’a dit que dans quelques jours on ne se reverrait plus jamais et que je ne devais pas l’abandonner, elle m’a prise par le bras et m’a tirée à l’intérieur de la maison de mon père. Il était dans son salon, assis sur un grand fauteuil. Lili et moi sommes allées nous mettre sur le bord de la fenêtre en face de lui, comme d’habitude, et nous avons commencé à parler. À la fin il n’y avait plus que Lili et mon père qui parlaient, il était très tard et j’étais fatiguée. Je me suis alors mise en boule sur le rebord de la fenêtre et je me suis endormie en écoutant leur conversation qui me berçait. Le lendemain matin la voisine de maman m’a réveillée et m’a dit de rentrer à la maison parce que ma mère se faisait beaucoup de soucis pour moi. Quand je suis arrivée dans le salon, maman ne dormait pas et elle sanglotait. Quand elle m’a vue elle s’est jetée sur moi et m’a prise dans ses bras. Quand je lui ai raconté ce que j’avais fait la veille, elle s’est remise à pleurer à chaudes larmes et m’a dit d’aller me coucher parce que j’avais un rendez-vous dans l’après-midi. Je suis allée dormir un peu et après je suis venue ici.

— Je comprends, dit-il pensif. Tu veux aller jouer un peu à côté ? Ça fait déjà longtemps qu’on parle tous les deux, je vais parler un peu à ta maman si tu veux bien.

— D’accord, dit-elle timidement.

Camille sort de la pièce et va jouer dans une pièce voisine. Sa mère entre et s’assoie sur le fauteuil où était assise sa fille. Elle n’ose pas le regarder, elle a toujours eu un peu peur de ces gens-là. Ils arrivent toujours à faire ressortir des angoisses ou des souvenirs qui devraient rester cachés au fond de nos cerveaux et ne jamais refaire surface. Elle ne veut pas le regarder, car elle sait que dès le premier regard il réussira à comprendre ce qui s’est vraiment passé, et pourquoi elle se trouve là, devant lui.

Monsieur Brunier était un psychologue pour enfant. L’un des meilleurs, et elle ne voulait pas qu’il lise dans ses pensées à elle, mais dans celles de sa fille. Avalon, la mère de Camille, pensait que les psychologues avaient le don de lire dans les pensées des gens s’ils les regardaient dans les yeux. Elle essayait donc d’éviter son regard, même quand il lui parlait. Une fois prise dans la conversation, elle oublia rapidement ses croyances mystiques et le regarda droit dans les yeux. Monsieur Brunier avait une cinquantaine d’années, il était assez grand et bien bâti, sans ses cheveux gris-brun qui lui tombaient en dessous des oreilles, on aurait pu croire qu’il en avait quarante. Quand à elle, Avalon, c’était une femme très mince, brune, avec de longs cheveux qui lui faisaient un visage très fin, et avec des yeux assez foncés. Le psychologue commença à l’interroger sur ses intentions :

— Pourquoi êtes-vous venue me voir avec Camille, normalement on n’emmène pas une enfant chez le psychologue parce qu’elle a simplement décidé de dormir chez son père.
— Il y a des propos dans son histoire qui ne sont pas cohérents et même improbables, dit-elle en essayant d’éviter son regard.

— Elle n’était pas chez son père ? Parlez moi un peu de lui, elle m’a dit que vous refusiez d’en parler. Pourquoi ?

— Car il n’existe pas, dit-elle d’un ton grave, cette fois elle le regardait droit dans les yeux.

— Pardon ? dit le psychologue surpris de ce qu’il venait d’entendre.

— Il est mort quand Camille avait cinq ans, depuis je l’élève seule, c’est pour ça que quand elle dit avoir dormi chez son père cette nuit là, j’ai pris peur et ai décidé de vous consulter, dit-elle d’une voix tremblante.

— Oui, je comprends. Savez-vous si elle était réellement chez quelqu’un qu’elle prend pour son père ou si elle a juste imaginé être avec son père ? répondit l’homme, inquiet.

— Je ne sais pas, mais ma voisine l’a retrouvée allongée en boule sur le muret du cimetière à la lisière de la forêt. Vous croyez qu’elle a vu le fantôme de son père ?

— Je ne sais pas pour vous, mais moi je ne crois pas aux fantômes, dit-il d’un ton moqueur, je pense juste que cette petite est à la recherche d’un père. Il va donc falloir lui trouver une figure masculine qu’elle pourra comparer à un père, continua t-il en reprenant son sérieux.

— Vous avez raison, de plus son père n’est même pas enterré dans ce cimetière, répondit la mère comme embarrassée par la remarque du psychologue.

— Mais il y a quelque chose que je ne comprends pas. Qui est cette Lili ?

— Lili c’est sa meilleure amie depuis le début de l’année, je suis contente qu’elle l’ait trouvée, parce qu’avant elle n’avait pas d’amie. Elle a toujours eu du mal à s’intégrer. Quand elle était plus petite on a dû la changer d’école parce qu’elle se faisait malmener par ses camarades, ça a vraiment était un soulagement quand elle m’a parlé de cette Lili.

— Elle vient souvent jouer chez vous ?

— Non, mais Camille va chez elle tous les jours après l’école. Je crois que les parents de Lili n’aiment pas trop que leur fille aille dormir ailleurs.

— Comment sont ses parents, les avez-vous déjà rencontrés ?

— Non, jamais, comme je vous l’ai dit, je crois qu’ils sont un peu casaniers. Mais pourquoi toutes ces questions ? répondit Avalon, troublée.

— J’ai des doutes sur cette Lili, elle ne vous a pas dit qu’elle était avec elle chez son père hier ? Elle a dit que Lili aimait beaucoup parler à feu votre mari et qu’elle s’était endormie bercée par leur conversation.

— Non, Camille ne m’avait pas dit que Lili était avec elle hier, et quand ma voisine l’a trouvée, elle était seule, dit-elle, surprise.

— Voulez-vous bien sortir, s’il vous plaît ? Je vais m’entretenir avec Camille un moment, je vous rappellerai plus tard.

— Bien sûr.

Avalon se lève, troublée, et sort de la pièce, Camille entre à son tour et se rassoit dans le fauteuil. Elle n’avait que neuf ans mais paraissait très mûre, elle était plus grande et parlait mieux que les autres enfants de son âge. Elle avait de longs cheveux noirs qui lui tombaient sur les épaules, la peau claire et les traits fins. Cette fois, elle tourna le siège et s’assit face au médecin. Elle le regardait d’un air grave comme si elle savait déjà ce qu’il allait lui dire. Le psychologue pris la parole le premier :

— Alors Camille, je viens de parler avec ta maman et elle m’a dit des choses très surprenantes. Tu es sûre que tu étais chez ton père, hier ? La voisine dit t’avoir retrouvée dans un cimetière.

— Je me fiche bien de ce que dit la voisine je sais que j’étais chez mon père. Ce n’est pas parce qu’elle n’arrive pas à voir ce que je vois que c’est forcément faux. Lili elle est différente des autres, elle voit ce que je vois et pense comme moi, c’est pour ça que les autres ne l’aiment pas, répondit la petite fille sur la défensive.

— Qui ne l’aime pas ?

— Personne ne l’aime, les gens l’ignorent, quand je parle d’elle, on se moque de moi. Il y a même des garçons qui nous ont lancé des pierres. Les gens ne comprennent pas ce qu’est réellement aimer quelqu’un. Ils n’ont que des amitiés superficielles et fausses. Moi, je sais que Lili m’aime vraiment et elle sait que je l’aime, on a pas besoin de parler pour communiquer, on peut rester assises l’une à côté de l’autre pendant des heures sans parler et comprendre ce que l’autre ressent. Les autres ne savent pas faire ça, ils pensent que le silence est un vide et qu’il faut le combler mais leurs paroles son bien plus vides que nos silences. Camille commençait à s’énerver et haussait le ton.

— Camille, tu dois comprendre quelque chose. Il y a une différence entre ce que tu vois et ce qui est réel. Beaucoup de gens ne veulent pas voir la vie comme elle est, ils essaient de la voir différemment et ont l’impression d’être rejetés par les autres car ils ne vivent pas comme eux. Ce n’est pas totalement faux, mais tu comprends, si tu te crée une bulle pour ne pas voir la vie comme elle est, tu vis dans une illusion et un jour cette bulle va se percer et tu seras perdue. Tu ne comprendras pas ce qui se passe autour de toi et n’arriveras jamais à vivre réellement.

La réponse de la petite fille l’avait troublée et il ne pensait plus être en face d’une fillette de neuf ans.

— Vous ne pouvez pas comprendre, Lili, elle, me comprend, dit la petite fille d’un ton ferme.

— Camille, Lili n’existe pas réellement, elle est dans ta tête. Tu dis qu’elle habite en face de chez ton père mais la seule maison qui est en face du cimetière où on t’a trouvée est un terrain vague.

Camille avait la tête penchée et regardait ses mains, elle tenait toujours entre ses mains ce petit bout de ficelle. Elle ne voulait plus parler, Monsieur Brunier commençait à s’en vouloir de lui avoir parler aussi fermement et demanda donc à sa mère d’entrer. Elle s’assit dans le fauteuil situé à côté de Camille. Le psychologue lui expliqua la situation. Au fur et à mesure qu’il parlait, le visage de la mère se décomposait.

À la fin du récit elle se tourne vers sa fille, elle veux la prendre dans ses bras, mais au même moment Camille se tourne et dit :

— Ce n’est pas parce que vous ne la voyez pas qu’elle n’existe pas, c’est ma meilleure amie. Quand je suis triste, elle me console, elle me connaît mieux que personne et vous, vous la prenez pour une maladie, un problème qu’il faut absolument me retirer. Je ne suis pas malade, j’ai juste une meilleure amie comme personne ne pourra jamais avoir. Ne me dites pas que vous ne rêvez pas d’avoir une amie comme ça, c’est juste que vous avez peur d’être différent, vous pensez qu’il faut avoir beaucoup d’amis comme tout le monde mais je préfère mille fois une amitié sincère avec une amie que j’ai réussi à rendre vivante grâce à mon imagination que cinquante de vos amitiés artificielles et mensongères.

Camille sort de la pièce et va dans celle où elle jouait tout à l’heure, le psychologue s’adressa à sa mère :

— C’est à vous de décider de ce qu’il va s’en suivre, vous pouvez choisir de la faire suivre par des médecins pour l’aider à se sociabiliser et à accepter la vie telle qu’elle est. Vous pouvez aussi la laisser continuer à vivre dans son monde en espérant que peut-être, un jour, elle arrivera à contrôler son imagination pour avoir une vie sociale et une famille, peut-être même qu’elle utilisera cette imagination pour sa future vie professionnelle, ce qui lui permettra de faire de grandes choses.

Dans la pièce à côté Camille est assise sur une grosse peluche en forme de dragon, elle regarde à côté d’elle.

— Lili qu’est-ce que tu fais là ? dit-elle surprise de voir sa meilleure amie assise à côté d’elle sur le dragon.

— Je t’avais dit que j’allais bientôt partir, c’est eux qui veulent que je parte. Ils ne veulent plus qu’on se voie.

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils veulent que tu grandisses et t’empêcher de rêver, pour eux moi je suis la personne qui t’empêche de grandir comme les autres.

— Je dois faire quoi pour que tu restes ? Je ne veux pas que tu partes.

— Il y a une solution… Rejoins moi.

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