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L’École alsacienne pendant la guerre

L’École alsacienne était, en 1913, en voie de prospérité. Mais à ce moment...

Article du 16 septembre 2011, publié par PO (modifié le 16 septembre 2011 et consulté 858 fois).

Théodore Beck : Mes souvenirs, 1890 - 1922

L’ÉCOLE ALSACIENNE PENDANT LA GUERRE

L’Ecole Alsacienne était, en 1913, en voie de prospérité. Mais à ce moment, on fit courir le bruit d’une guerre prochaine, voulue et préparée par les Allemands altérés de conquêtes et de domination. En France, on ne croyait pas que ce bruit fût fondé. On n’était guère prêt pour la défensive.

On fut donc surpris et alarmé, lorsqu’à la fin de juillet 1914, la guerre fut déclarée. L’ennemi, bravant tout et tous, viola les frontières, et chercha à pénétrer en France, en passant par la Belgique qui fut saccagée, espérant arriver à Paris ; mais finalement ses projets furent réduits à néant par d’éclatantes victoires remportées par les Français et les Alliés. Dans le cours de cette année, M. Frédéric BREUNIG, sous-directeur depuis l’origine, très éprouvé par la maladie, donna sa démission. Il mourut en 1914.

M. BREUNIG a consacré à notre Ecole, pendant plus de quarante ans, le meilleur de son intelligence et de son coeur. C’était un éducateur qui connaissait l’âme de l’enfant, un pédagogue de race qui portait en lui des aptitudes exceptionnelles.

L’Ecole Alsacienne a déploré la perte de ce fils de l’Alsace, qui a fait honneur à son pays natal et à la France. Elle gardera de lui un souvenir indéfectible.

Au premier moment des hostilités, la mobilisation se fit sans difficultés et rapidement. Beaucoup de nos élèves quittèrent alors Paris, avec leurs parents. Quant au personnel, 23 de ses membres furent mobilisés, et durent être remplacés, ce qui n’était pas chose facile. Nos finances devaient forcément subir l’influence des événements. A peine les hostilités avaient-elles commencé, qu’on prévoyait que la guerre serait longue, en tous cas cruelle et sanglante. On savait, en effet, que l’Allemagne était avide de conquêtes à n’importe quel prix et par n’importe quel moyen. On prit donc à la hâte des mesures exceptionnelles, afin d’aider les Alsaciens-Lorrains désireux de se joindre à l’armée prête à défendre, à sauver la Patrie Française.

Une société anonyme, sans caractère officiel ni même officieux, vint alors prier l’Ecole Alsacienne de se transformer en hôpital ou en ambulance ; mais on préféra laisser l’Ecole à la disposition des Alsaciens-Lorrains qui voulaient se mettre tout de suite en règle avec les autorités militaires. Un bureau de recrutement fut installé dans une pièce spéciale de l’Ecole. Près de trois mille hommes de tout âge défilèrent dans nos cours, attendant avec une fiévreuse impatience la feuille d’enrôlement qui leur était délivrée après une minutieuse enquête sur leur passé et leur situation actuelle. Impossible de décrire l’enthousiasme parfois bruyant, mais toujours digne qui s’emparait de ces hommes, lorsqu’on leur avait reconnu la qualité de citoyen français et de futur combattant. On ne se contentait pas de leur donner l’instruction ; ils étaient nourris, logés, parfois même habillés.

L’Ecole devint ainsi une véritable caserne ; les cours furent transformées en champ d’exercices ; le gymnase et les salles de classe, en dortoirs ; le jardin d’enfants devint un bureau de renseignements ; deux chambres servirent d’économat, de bureau de bienfaisance ou d’infirmerie.

Les exercices militaires avaient lieu matin et soir ; les hommes suffisamment instruits étaient conduits par groupes au régiment désigné, sous la conduite d’un chef, qui, parfois, était M. Frédéric LAUTH.

Toute cette organisation, tous ces mouvements étaient surveillés, dirigés et ordonnés par notre ami M. Eugène BAUER, qui déployait une incomparable activité. Plein d’ardeur et d’une superbe abnégation, il passait son temps dans les différents bureaux ou au milieu des volontaires qu’il traitait en compatriotes et en amis. Il était aussi chargé des recettes et des dépenses, chose quelquefois compliquée et embarrassante. Enfin il recevait de nombreux visiteurs qui venaient par curiosité, mais aussi par le besoin généreux de contribuer à une si belle oeuvre. Je citerai parmi eux : Mme la Comtesse de NOAILLES, Mme Jules FERRY, Mme ALCAN, Mme ERCKMANN, MM. Maurice BARRÈS et Jules SIEGFRIED père et bien d’autres qui remettaient au trésorier, M. BAUER, leurs dons en nature. Combien d’anonymes nous ont envoyé de quoi soutenir notre caisse toujours trop vite épuisée. Il fallut plus d’un mois pour remettre les classes en état de recevoir les élèves pour la rentrée fixée en octobre. Elle eut lieu en effet à cette date, après approbation des parents qui avaient été consultés par circulaire.

Les classes s’ouvrirent avec 91 élèves ; peu de temps après, il y en eut 230 ; et en janvier 1915, ils furent 360. A la rentrée de 1917, l’Ecole avait retrouvé son effectif d’avant-guerre. Le 1er octobre 1916, quand tous les élèves furent réunis dans la salle de gymnastique, le directeur, M. BECK, vint leur dire ces quelques mots :

« Mes amis, chers enfants ! Faites honneur à la France, n’oubliez pas un instant que la Patrie vous regarde, en attendant qu’elle vous appelle, vous aussi. »

Les classes s’étant remplies peu à peu, nous avons dû parer à de grosses difficultés. Tout se passa tant bien que mal et nous pûmes satisfaire les familles et les élèves. Nous rappelons à ce sujet que MM. Paul-Albert LAURENS, fils du célèbre peintre, et grand artiste lui-même, et MEYNADIER ne voulurent accepter aucune rétribution pour leur enseignement.

Malheureusement, nous reçûmes, au début de 1915, la douloureuse nouvelle de la mort au champ d’honneur de deux de nos meilleurs professeurs et amis, MM. G. BATTANCHON et René RABACHE, tous deux hommes d’esprit et de creur. Perte très sensible pour ceux qui les ont connus et qui les ont vus à l’oeuvre ! A ces deux noms il faut ajouter ceux de MM. Paul RENAUDOT, ancien élève, professeur de dessin, et E. GASPARD, qui tous deux ont bien mérité de l’Ecole Alsacienne et de la Patrie, et qui sont morts victimes d’une maladie contractée au champ de carnage. Il en fut de même de M. Jules BLECH, membre du Conseil d’Administration, capitaine d’Etat-Major, qui sut, dans ses nouvelles fonctions, faire valoir ses éminentes qualités.

Peu de temps auparavant, nous nous étions réunis autour de la tombe du brave Alsacien Michel BECKER, qui, pendant quarante ans, avait magistralement enseigné l’allemand.

Nous avons eu également la douleur de perdre notre grand ami, M. Adrien KREBS, le maître hors ligne qui, pendant près de 40 ans, a été notre très précieux collaborateur.

La plupart des élèves, anciens et nouveaux, ont rivalisé de zèle pour soulager les malheureuses victimes de la guerre.

Ils ont été fiers de souscrire aux emprunts de la Défense Nationale, et de donner leur collaboration à leur cher professeur, M. Maurice TESTARD, en vue d’une vente de charité.

De plus, une centaine de jeunes gens, tous élèves de l’Ecole, se sont associés à la main-d’oeuvre agricole scolaire. La Compagnie des Chemins de Fer de l’Etat concéda un champ assez étendu, sur le territoire de Châtillon. Aussitôt nos amis se rendirent sur le terrain pour le défricher, l’ensemencer, le cultiver et le soigner. L’équipe était organisée et dirigée par M. NOUVEL, dont je ne saurais assez louer le zèle et le persévérant dévouement. Tous, maîtres et élèves ont été récompensés par le résultat obtenu. Les produits (légumes divers) ont été transportés par les élèves eux-mêmes jusqu’à l’Ecole où ils étaient vendus à des prix modestes. Il faut remarquer que, pendant ce labeur, le canon ne cessait de tonner et que parfois un avion ennemi traversait le ciel, au-dessus de l’équipe ; mais ce qui soutenait le courage de nos jeunes gens, c’était le sentiment qu’ils peinaient pour soutenir les veuves et les orphelins de la guerre.

A la fin de 1917, plusieurs de nos professeurs mobilisés ont pu reprendre leurs fonctions.

L’Ecole a été, en 1917 et 1918, fort attristée par les décès de MM. Charles DE BILLY, VIDAL DE LA BLACHE, MAYNIEL, CULTRU et PIERME.

M. Charles DE BILLY a été un des bienfaiteurs de notre établissement et en quelque sorte un de ses fondateurs. Il a suivi avec un intérêt passionné les destinées de la maison qu’il appelait « Notre Ecole ».

M. VIDAL DE LA BLACHE, géographe distingué, a donné un bel exemple des résultats qu’on peut tirer de la science.

M. MAYNIEL, Conseiller d’Etat, nous a donné pendant 40 ans ce qu’il avait de beau et de grand dans sa nature.

M. CULTRU nous a prodigué pendant 20 ans sa science et tout son coeur. Grâce à ses hautes qualités, il fut nommé profondeur adjoint à la Sorbonne.

Nous étions, à ce moment, à la veille d’événements décisifs ; Paris et ses environs étaient sous la menace des avions allemands qui, la nuit, rôdaient au-dessus de la capitale, pour y jeter le trouble et la désolation.

Mais nos ennemis méditaient pis encore. Le samedi 2I mars 1918, de grand matin, la population parisienne fut soudainement réveillée par une violente détonation qui se renouvela à intervalles réguliers, toutes les 20 minutes environ. L’émotion était à son comble, parce que nul ne savait ce qu’étaient et d’où provenaient ces engins destructeurs. Nous prîmes aussitôt les mesures nécessaires pour mettre nos enfants à l’abri de tout danger.

Les grands eurent le courage de rentrer chez eux ; quant aux autres, ils occupèrent les sous-sols de quelques caves voisines, sous la surveillance de leurs professeurs, jusqu’à ce qu’on vînt les chercher. C’est alors qu’un officier d’Etat-Major, venu du Ministère de la Guerre, apprit à M. BECK que ces obus provenaient d’un canon à longue portée et que l’Ecole Alsacienne se trouvait sur la ligne de tir.

Nous prîmes des précautions encore plus minutieuses. Les parents et les professeurs furent avertis de la fermeture provisoire de l’Ecole, la durée des vacances de Pâques étant portée à un mois. A la rentrée, il n’y eut que 144 élèves présents, tous on ne peut mieux disposés. La plupart des classes avaient été abandonnées et remplacées par différents locaux absolument sûrs.

Notre excellent professeur et ami M. POMEY a fait son cours de mathématiques élémentaires dans la cave. De plus, pour augmenter nos garanties de sécurité, le Conseil décida de louer, pour quelques temps, deux locaux situés dans les environs de l’Ecole ; l’un d’eux abrita une trentaine de petits, sous la direction de M. SÉNÉCAL dont la tâche fut compliquée et difficile, parce que les enfants appartenaient à des classes différentes. Ce maître fit des prodiges de vigilance, ce qui ne surprendra pas ceux qui connaissent l’homme et le professeur. L’autre local, occupé par les jeunes filles, était dirigé par Mlle DRESCH.

Il n’y a pas eu, heureusement, pendant cette période, d’accident grave à déplorer, mais l’année scolaire s’acheva dans des conditions de troublantes menaces et d’une angoissante incertitude.

En octobre 1918, on sentit un fléchissement dans l’effort allemand ; l’impression était mieux fondée qu’on ne le pensait. En effet, le 11 novembre, vers 11 heures du matin, alors que notre jeunesse était au travail, on fut soudainement remué par le son du canon, des cloches, des sirènes qui annonçaient l’armistice. La France était victorieuse, l’Alsace et la Lorraine nous étaient rendues.

Nos élèves aussitôt se ruèrent dehors, ivres de joie, comme emportés par un ineffable élan d’allégresse. Le travail reprit, mais, comme il était à prévoir, la jeunesse demeura pendant quelque temps sous l’influence de la terrible tourmente.

L’équilibre intellectuel et moral, momentanément rompu, se rétablit cependant assez vite chez un bon nombre d’élèves.

Au début de 1919, le Conseil eut de graves préoccupations de nature financière. Nos réserves s’étaient peu à peu épuisées et le renchérissement de la vie légitimait les justes exigences du personnel. En face d’une situation aussi pénible, le Conseil prit la décision de demander à l’Etat une nouvelle augmentation de sa subvention. Le directeur, M. BECK, se rendit lui-même chez le président de la République, pour lui demander son avis et peut-être son concours.

M. Alexandre MILLERAND répondit en ces termes : « Rien de plus naturel. Vous pouvez compter sur mon appui. »

C’est ainsi que nous pûmes continuer notre oeuvre avec calme et courage.

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