Sommaire

Sommaire

Recherche

Nous suivre

newsletter facebook twitter

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Le Tableau ensanglanté, par Thomas Peyrache

Article du 4 juin 2012, publié par PO (modifié le 5 juin 2012 et consulté 381 fois).

La Nouvelle vague fantastique : Table des matières


Le Tableau ensanglanté

Thomas Peyrache

Voilà, cela fait des années, des décennies que je souhaite vous raconter mon histoire. Cette histoire est si étrange que j’aurais aimé être sportif plutôt que peintre. Mais voilà, les choses ne furent pas ainsi…Tout commença cet hiver de l’année 1948. Je venais d’avoir trente-huit ans et j’avais décidé d’emménager à Paris, loin de ma famille, pour pouvoir pratiquer mon rêve : la peinture. J’habitais rue d’Enfer, une ruelle sombre et peu éclairée. J’y louais un atelier à la mairie et je vivais seul, personne ne me rendait visite. Mes voisins étaient des couples méprisant l’art.

Ce soir-là, je me décidai à peindre dans mon salon une péniche que j’avais observée la veille en me baladant sur les quais de Seine. Je sortis mon attirail composé de sept pinceaux et d’une tablette de gouache que mon oncle m’avait offerte avant mon départ pour Paris. Ma péniche était grande, elle occupait presque tout l’espace de ma petite toile. Je lui fis un toit rouge et une coque verte. Il faut que je vous avoue que je n’étais pas doté d’un don pour le dessin, mais peu m’importait, je voulais devenir peintre et je le serais. Je trouvais que le contraste de couleurs que je venais de dessiner était vraiment très distingué.

Fier de mon œuvre, je me rendis dans ma chambre et sombrai dans un sommeil profond, calme. Le lendemain, à mon réveil, un trouble s’empara de mon esprit, j’avais la tête qui tournait. Quand j’entrai dans mon salon (c’est là où je peignais et stockais mes peintures avant de les vendre au marché), je vis une très grande toile emballée dans un sac. Cette toile ne pouvait pas provenir de mes peintures car je n’avais pas assez d’argent pour m’en procurer de cette envergure. Avec anxiété, je me décidai à ouvrir ce présent. Je partis dans la cuisine pour prendre un couteau ; je commençai à découper le sac. Sous le sac, il y avait une magnifique toile peinte avec adresse et précision représentant une scène de guerre entre les Romains et les Sabins. Cependant, une tache rougeâtre de la taille d’une phalange se remarquait sur le côté gauche du tableau, ce devait être du sang ; je ne savais pas quoi penser. Qui pouvait bien me l’avoir offerte ? Etait-ce un don du seigneur, de mes voisins ou bien d’une ou d’un ami(e) inconnu(e) ou bien encore une farce du diable ? Habiterait-il la rue d’Enfer ? Je me pinçai pour vérifier que je ne dormais pas. Non, j’étais bel et bien réveillé, ce devait être une hallucination. La tête me tournait toujours, je retournai dans mon lit espérant que cette mystérieuse toile disparaîtrait de la même manière qu’elle était apparue. En même temps, je ne ressentais aucune envie de m’en débarrasser.

Quand je me glissai dans mon lit, j’entendis un cri strident comme si une personne venait de recevoir un coup d’épée dans le ventre. Je me dis sans vraiment y croire, que ce cri provenait du dehors. Je n’arrivais pas à dormir. J’étais troublé par cette toile. Ce tableau m’attirait. Nous ne faisions qu’un : il voulait que je le regarde et je voulais le regarder. Ne tenant plus, je me levai pour aller admirer ce trésor troublant. Au fur et à mesure que je m’approchai, je perçus une seconde tache de sang sur le côté gauche de la toile. Que pouvaient être ces apparitions de sang ? Cette toile avait une finesse des détails trop réelle. Je décidai de m’approcher pour pouvoir la toucher, elle, sujet de toutes mes craintes, de tous mes doutes, de tous mes troubles. Mais avant de la toucher je remarquai une coïncidence qui me fit un haut-le-cœur. Il y avait sur ce tableau autant de taches de sang qu’il y avait de personnages morts.

Je me rendis dans ma cuisine afin de prendre mon petit-déjeuner habituel. Il était constitué de deux tartines de pain complet avec du beurre et d’un bol de lait. J’allumai la télévision. Aux informations, il n’y avait rien de spécial ni d’inquiétant. Alors que je beurrais mes tartines, je perçus un second cri. Le même que le premier peut-être ? Je pensai désormais qu’il se déroulait quelque chose d’anormal avec cette toile. Dans mon anxiété, je me mis à tout imaginer : la présence d’un être invisible dans mon atelier ? Cette toile était la réincarnation du diable.

Je me précipitai pour découvrir ce qui s’était passé sur la toile. A ce moment, j’eus la plus grande frayeur de toute ma vie. Il n’y avait plus deux taches de sang sur le côté gauche de la toile, mais il y en avait quatre, il n’y avait pas non plus deux morts sur le tableau mais quatre. Deux nouveaux morts jonchaient le champ de bataille. Etait-ce possible qu’un tableau change ? Il fallait me débarrasser de cette toile au plus vite car l’idée que des personnages peints meurent sous mon toit m’était insupportable. Je réfléchis à la manière de m’en débarrasser. Je décidai de la brûler et fis un grand feu dans ma cheminée.

Une demi-heure plus tard, je jetai ma toile dans le brasier, mais à peine était-elle entrée en contact avec le feu, j’entendis un cri étouffé par les flammes. De peur qu’une nouvelle tache de sang n’apparaisse, je sortis immédiatement mon cadeau maléfique du brasier ardent. Et à mon grand soulagement aucune trace de sang n’était apparue, au contraire deux avaient disparu. Au moment où j’allais remettre la toile dans le feu, j’entendis à la télévision que des policiers avaient tué deux voleurs lors d’une arrestation. Je revins dans ma salle à manger pour voir les images des faits sur le poste de télévision, mais dès que j’entrai dans la pièce, j’entendis un troisième cri provenant de la cheminée. Je regardai deux minutes les informations, puis courus vers la cheminée pour voir ce qui s’était passé au niveau de ma toile diabolique. A mon grand désespoir, une nouvelle tache de sang était apparue sur le côté gauche et un nouveau soldat sabin était mort. Il y avait désormais trois personnages morts et trois taches de sang sur la toile. Je remis la toile dans la cheminée, une tache disparut et au même moment, le journaliste annonça un troisième mort. Je ne pouvais m’empêcher de penser à la coïncidence qu’il venait d’y avoir entre les trois morts disparus du tableau et ceux bien réels, annoncés aux informations télévisuelles. Que devais-je faire maintenant ? La brûler au risque d’entendre l’annonce de deux nouveaux décès ou bien laisser les taches de sang envahir la toile ? Et ensuite ? Je décidai d’être rationnel et de me débarrasser de ce tableau maudit dans le feu. De toute façon, rien ne prouvait que j’étais la cause du décès des voleurs, ce pouvait être le fruit du hasard ou une simple coïncidence. Je lançai quand même avec regret ce magnifique tableau dans les flammes de l’enfer qui le détruiraient à tout jamais. Comme prévu, en s’effaçant dans les flammes, les taches de sang laissèrent échapper deux cris. Mais je ne bronchai pas.

Aux informations, je constatai que ma toile n’avait plus fait de dégâts sur le monde extérieur. J’en avais déduit que les premiers morts étaient le fruit du hasard. Je n’étais donc la cause d’aucune mort. Pourtant, je restais sur le qui vive. Le tableau me hantait. Tous les matins, je vérifiais avec anxiété si une nouvelle toile n’avait pas été déposée dans mon salon. Un jour, en rentrant le soir, un colis m’attendait. Je mis plusieurs heures avant de l’ouvrir ! Finalement, je le fis : dedans, il y avait une grande toile blanche et une palette multicolore de peintures à l’huile. J’hésitai encore quelques jours puis me lançai dans la copie de la bataille des Sabins contre les Romains qui s’était imprimée de manière indélébile dans ma mémoire.

Finalement, si je n’ai jamais réussi à vendre ma péniche au toit rouge et à la coque verte, ma copie de ce tableau hanté s’est très bien vendue. Tenez, la prochaine fois que vous irez au Louvre, si vous allez dans la salle des peintres réalistes du XXe siècle, vous y trouverez une grande toile représentant une bataille entre les Romains et les Sabins, avec écrit en dessous en lettres majuscules JACCOMO BARTOLLI. Et bien, c’est moi qui l’ai peinte.

Mais cependant j’attends toujours une explication : quel être m’a apporté cette effrayante toile qui m’a donné le don de la peinture ? Est-ce le diable ou le bon Dieu ?

École alsacienne - établissement privé laïc sous contrat d'association avec l'État

109, rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris | Tél : +33 (0)1 44 32 04 70 | Fax : +33 (0)1 43 29 02 84