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Un ange passe

Article du 24 novembre 2009, publié par PO (modifié le 24 novembre 2009 et consulté 453 fois).

Un ange passe...

par Léa Melloul et Flora Peyron

Le soleil se lève en même temps que moi. J’ouvre les yeux et regarde à mes côtés. Je suis seule et il fait froid. Les domestiques ne sont pas encore réveillés, sinon j’aurais senti l’odeur du pain dans le palais. J’enfile mon manteau de laine et monte à la cuisine. Peut-être reste-t-il du repas de la veille. Je monte doucement les escaliers, mes parents dorment au deuxième étage. Pieds nus, les dalles sont froides et je risque d’attraper un rhume. Je décide de redescendre et retourne dans ma chambre. Assise sur mon lit je la regarde sous tous les angles. Elle est petite mais agréable. Je ne suis pas assez vieille, donc pas assez importante pour avoir une cheminée. Des fresques peintes sur les murs racontent l’histoire de Percevalle Gallois. Mes parents ont beaucoup voyagé en France et nos ancêtres étaient amis avec Chrétien de Troyes, nous avons un manuscrit de lui que nous gardons précieusement (bien que père propose régulièrement que nous le fassions imprimer) encore maintenant ; nos deux familles entretiennent de chaleureux rapports. Un courant d’air passe. Je me blottis dans mes draps. Aujourd’hui, je vais me faire belle. Nous assisterons à un mariage sur la place du Dôme. Je sors de mon lit pour aller chercher le petit miroir posé sur mon bureau. Je reviens cependant vite et je remonte sur mes épaules les couttes en laine chaude. Ainsi installée confortablement, je regarde mon visage. Je m’appelle Maria. J’ai treize ans. Je me trouve assez banale, j’ai un visage droit et des traits fins. Mes cheveux blonds et mes yeux bleus sont mes plus grands atouts. Je repose sur le sol le miroir précieux. Il m’a été donné le jour de mon anniversaire et la tradition familiale veut que je le donne ainsi à ma fille, lors de son treizième anniversaire. Il est vieux et a été conçu grâce à de vieilles techniques. Le cadre en fer est recouvert de feuilles d’or. Il représente des ronces de roses entrelacées. La glace n’est pas bien grande et je la tiens facilement dans ma main. J’en admire d’autant plus le travail minutieux. Blottie dans mon lit, grand cocon de laine, je commence à m’endormir quand on frappe à la porte. D’une voix monotone et ensommeillée j’autorise l’entrée dans ma chambre. La lourde porte en bois grince alors pour laisser passer Adrianna. Domestique, elle n’a que trois ans de plus que moi et elle fut ma compagne de jeux lorsque j’étais plus jeune. Elle m’apporte de petites pantoufles de vair et un manteau chaud pour aller prendre mon petit déjeuner. Elle tient aussi dans ses mains un peigne en bois et une coiffe. Je m’assois vite sur le petit tabouret près de mon lit, et, recouverte de mon manteau, je me laisse coiffer, heureuse comme un chaton qu’on caresse. Parée je pourrai aller manger. Mon déjeuner sera constitué de pain et de lait de chèvre. Aujourd’hui, exceptionnellement, je pourrai avoir du miel.

Je suis heureuse car j’ai appris hier que je serai la demoiselle d’honneur. Dans les familles des amis des futurs mariés, je suis la plus vieille, celle donc qui se mariera le plus tôt. J’espère d’ailleurs que mon cousin sera mon futur mari, c’est le plus probable. Il se nomme Alcéo et il a presque le même âge que moi, plus vieux de trois ans. Je le connais bien et je l’aime beaucoup. Il est élève peintre dans un atelier. Je lui rends visite parfois, et il s’améliore de jour en jour. Je ne devrais pas avoir le droit d’entrer dans l’atelier et je le sais. Mais Alcéo ne s’arrête jamais de travailler, ou presque, et lorsque son maître et les autres disciples sont sortis, il prend le risque de me laisser entrer. Je trouve l’endroit très pittoresque, petit, une grande cheminée trône sur le mur central. Des pots sont renversés, tout est sale de couleur, dans un coin de la pièce, des châssis à peine fabriqués sont posés contre le mur. Il y a beaucoup de toiles d’araignée car le ménage n’est pas souvent fait, les trois bureaux de la pièce sont couverts de feuilles, de croquis, de mine de plomb. Un seul lieu est propre : les étagères où sont entreposés dans des bocaux les précieux pigments de couleur. Mon cousin travaille en ce moment sur un tableau que son maître dirige. Il est très doué et a le droit d’effectuer des détails sur la toile du maître. Il me parle souvent d’une toile, quand, au début de sa vie il a travaillé avec Ghirlandaio. Il n’avait que six ans, elle représentait un jeune garçon sur les genoux de son grand père, le petit garçon, d’après mon oncle et ma tante, avait été peint sur le modèle d’Alcéo, mais personne n’en est sûr, car sur la toile, l’enfant paraît beaucoup plus jeune. Quoiqu’il en soit, ce tableau a marqué mon cousin, il m’en parle beaucoup et il aimerait, un jour, arriver à ce niveau, c’est la seule raison pour laquelle il travaille tant, effectuant même les tâches les plus ingrates. J’imagine souvent ma vie avec Alcéo. Il est très beau, blond, grand, mais son corps est encore celui d’un adolescent. Si nous nous marions, il serait un excellent mari. Adrianna me propose d’aller manger, et me sort ainsi de ma rêverie, je me lève et cours reprendre le petit miroir. Le front dégagé, une huve blanche et de longues tresses entrelacées. Je me trouve jolie. Adrianna à vraiment le don de me rendre belle. Je le lui dis, elle baisse la tête et me remercie. La prenant par la main, nous montons toutes deux dans la cuisine. Il y fait plus froid et je me précipite sur mon bol de lait chaud. Le bol en terre cuite me brûle les mains mais j’ai si faim et si froid que je n’y prête presque pas attention. Je dois finir vite pour avoir le temps de me préparer. Une longue robe blanche m’attend et je suis impatiente de m’y voir. Serrée sur la taille par une ceinture et un peu décolletée, c’est la première robe de jeune fille que je porterai. Cela fera transition avec mes vêtements d’enfants sombres et dépourvus de ceinture.

Adrianna m’a nettoyé le visage et les pieds. Je vais dans les latrines du deuxième étage, une fois parée il sera difficile de pouvoir me soulager. Après être redescendue, Adrianna finit de m’habiller, je suis fin prête pour le mariage. Je rencontre mes parents en bas du palais. Je me sens belle et grande, je l’avoue. Dans ma tenue, j’ai l’impression d’être adulte, et, toute fièrement parée je pense sentir les regard des autres domestiques. Je sais que ce n’est pas vrai, mais cela me rend joyeuse. Devant le palais attend un carrosse, nous habitons loin de l’église du mariage, dedans, il fait froid, bien qu’il soit capitonné à l’intérieur. Il bouge beaucoup. Notre trajet durera une demi-heure environ, mais, quand il nous arrive d’aller dans notre château de campagne, nous pouvons rester une journée entière dans le véhicule.

Nous nous arrêtons brusquement. J’entends des gens crier. Je décide de regarder par la fenêtre, une mendiante se fait battre par un passant sous les rires cruels des marchands de la place. Ma mère referme le rideau d’un geste brusque. Elle n’aime pas la violence gratuite. Elle me répète souvent que Dieu nous dit de nous aimer les uns les autres et que s’Il savait ce qui se passait tous les jours, Il ne devrait pas nous aimer beaucoup.

En regardant dehors j’ai pu apercevoir que la ville s’était déjà réveillée : les ouvriers travaillent, penchés sur leurs enclumes, les forgerons aplanissent d’un lourd marteau les inégalités du fer blanc d’épées rouges de chaleur, les couvreur sont déjà sur les toits des maisons, marchants sur les chaumes comme sur des nuages, certains marchands installent leurs étalages, d’autres portent à bout de bras des cages dans lesquels piaillent des poules de toutes les couleurs ou alors tirent avec force des cochons énormes et sales, d’autres encore, installés dans la rue, penchés sur leur bureau et déjà concentrés à leur tâche, font leurs comptes ou échangent des lettres contre de l’argent.

Au bout de quelques minutes, nous finissons par arriver à l’église de San Miniato al Monte. Bien que les mariés soient riches, ils ont décidé de faire une cérémonie privée. Nous sommes, avec une trentaine d’autres personnes, les seuls invités.

Descendue du carrosse, j’ai l’impression d’appartenir à un autre monde. Se dresse devant mes yeux, éclairée par la lumière matinale du soleil, la façade blanche et noire de l’église. Devant, déambulent quelques moines Olivétains, tout de blanc vêtus. Le spectacle semble être figé dans le temps, l’escalier, l’église, la lumière, le bonheur que je ressens pour les mariés. Il ne nous reste plus qu’à nous installer dans la nef, attendant la jeune future mariée. En montant les marches qui nous y mènent, je jette, sans pouvoir m’en empêcher, des regards furtifs autour de moi. De part et d’autres de l’escalier, il y a un cimetière. Je ne sais pas si on a le droit d’y entrer, mais je veux tellement y aller. Regardant aux alentours je remarque avec réjouissance que personne ne fait attention à moi, je redescends les quelques marches que j’avais montées et j’entre dans le cimetière.

Emerveillée par tant de stèles, je les regarde une à une, les noms, les dates, les décorations... En essayant de faire le moins de bruit possible, je cours dans ce cimetière que la lumière de ce jour rend vivant. Je m’arrête soudainement devant la sculpture d’un ange magnifique, assis, les genoux pliés, il regarde le ciel, avec un air suppliant. Je m’attends presque à voir couler de ses yeux, des larmes de tristesse. Un drapé recouvre ses jambes, et son torse creusé par le chagrin révèle une peau lisse et des membres fins. Ses cheveux de jeune éphèbe tombent sur ses épaules avec un mouvement immobile faisant ressortir la douceur de son regard et la vulnérabilité de sa pose. Il me rappelle quelqu’un. Mais le nom m’échappant je m’approche alors et avance ma main pour le toucher doucement... Je m’arrête tétanisée, quelqu’un vient de poser la main sur mon épaule. Je ne veux pas que l’on me dispute ou que l’on me jette de l’église ! Je m’imagine déjà attendre impuissante mes parents dans la voiture, mais je me rassure lorsque j’entends dans mon dos un rire enfantin que je connais bien. Alcéo ! Je pousse un long soupir de soulagement qui fait cependant bientôt place à l’étonnement. Que fait-il ici ?

« Bonjour Maria, vous allez bien ? »

Je regarde de haut en bas mon magnifique cousin. Habillé de bleu, ses yeux gris sont mis en valeur, ses chausses et ses chaussures à poulaine sont blanches, et, par ce froid matin d’automne, il porte un chaud paletot et un chaperon en pélerine.

« Alcéo vous m’avez fait peur, que faites vous ici ?

— Je prends des mesures.

— Pour qui donc ?

— Quelqu’un qui a décidé d’ériger autour de ce cimetière une enceinte à l’égal de sa beauté.

— Et, jeune cachottier, qui est ce quelqu’un ? »

Il met un temps à me répondre, j’ouvre la bouche, me préparant à répéter la question, quand il répond :
« Michel-Ange. Il ajoute avec un sourire en coin, vous savez, je vous en avais parlé, au début de mon apprentissage, j’ai fait connaissance avec cet homme, il... C’est un génie. Nous avons gardé contact.

— Vous avez l’air d’aimer beaucoup cet homme.

— C’est le cas.

Il vous aime aussi. »

A mon étonnement, mon cousin rougit .

« A quoi vous fiez-vous ?

— Pourquoi aurait-il gardé contact dans le cas contraire ? »

Il baisse alors la tête et rougit plus fortement encore.

« Allons, cousin, je ne voulais pas vous faire de peine, ni vous gêner. Donc ce Michel-Ange vous demande de faire des mesures, eh bien allez-y. Moi, un mariage m’attend. »

Sur ce je tourne les talons et remonte l’allé du Cimitero delle porte Sante pour assister au mariage. Je me retourne cependant, je viens de comprendre qui la statue me rappelait. C’est le portrait presque parfait d’Alcéo. Je souris devant ce hasard étrange et remonte en trottinant l’allée de l’église.

La robe de la mariée resplendit de beauté. Blanche pour la pureté et bleue pour le renouveau. Je me mets à rêver de mon jour. Si bien que je me prends les pieds dans les longs pans de la houppelande riche et doublé de velours. La mariée se tourne alors vers moi et me sourit. Je la regarde et sourit à mon tour. Des fleurs blanches pavent son chemin. Elle arrive devant le prêtre qui prononce, dans son grand vêtement rouge, les serments du mariage. Et, sous le plafond d’or, entouré de marbre blanc, devant un portrait de Jésus, et en présence d’une trentaine de témoins, Gloria et Valentino, après avoir juré de s’aimer éternellement, s’embrassent passionnément pour sceller leur union.

Le reste de la fête se passera sur la place du Dôme. Nous avançons dans l’allée, tous heureux devant une union si belle. Soudain, le silence se fait, tout le monde s’arrête. J’avance et je vois devant nous, se tenir devant les carrosses, un garde habillé de noir, une riche houppelande coiffant ses épaules et un regard froid nous scrutant. Valentino qui portait sa nouvelle femme dans ses bras forts, la pose à terre et regarde ébahi l’homme en noir. Lentement, et avec j’en suis sûre, un sourire au coin des lèvres, celui-ci lit le document qu’il tient entre ses mains gantées. Sa voix forte gronde et j’ai l’impression que la terre en tremble. Cet homme est un envoyé du diable.

« Qui est Valentino Castaldari ? Valentino s’avance.

— Est-ce vrai que vous avez offert à votre femme un cassone ? » Valentino se fâche et avance avec colère devant l’homme en noir.

« Comment savez... »

Les deux gardes derrière le premier se mettent en position d’attaque, je pense alors que tout va finir dès maintenant, que la mariée sera morte avant d’aimer et des larmes de rage montent à mes yeux, mais non. Valentino se rend compte aussi du mouvement des soldats et se calme aussitôt, contenant sa colère et protégeant sa bien-aimée.

« Répondez par vrai ou faux.

— Vrai.

— Avez vous payé un artiste pour décorer ce-dit coffre ?

— Vrai. »

Il claque des doigts et deux autres guerriers sortent un coffre en bois d’environ 1m70 et décoré de manière simple et somptueuse.

« Est-ce le coffre ? » Le temps s’arrête autour de nous, tout le monde se pose la même question, tout le monde a compris la même chose, s’ils ont le coffre, c’est qu’ils ont saccagé la maison des mariés pour le trouver. Valentino baisse la tête.

« Oui.

— Les oeuvres peintes dans l’intérieur du couvercle sont profanes.

— Vrai.

— Vous savez cependant que cela est interdit sous l’ordre de Sire Savonarole ? »

Il paraît alors prêt d’éclater de rage, ou en pleurs, mais, tremblant, Valentino ne répond que :

« Vrai.

— Sur son ordre vous êtes alors, vous et votre épouse, bannis de Florence. Ne revenez pas. Partez maintenant.

— Mais nous n’avons rien, pas d’argent, pas d’affaires...

— Prenez ce coffre, il vous servira de bois pour le feu. »

Il éclate alors de rire et jette à ses pieds le magnifique cassone qui explose au sol. Je m’accroche au bras de ma mère et éclate en sanglots devant tant de cruauté. Il se tourne alors vers mes parents.

« Je dois aussi vous parler.

— Maria, monte dans la voiture. »

J’ai peur de ce qui peut se passer, je tremble seule assise dans le carrosse et regarde mes parents par la vitre. Je sens sur moi les regards stupéfiés et horrifiés de ma mère. Elle pleure sans pouvoir se retenir. Le regard haut, elle salue le garde et me laisse descendre. Mon père m’attrape l’épaule et me regarde dans les yeux.

« Maria, vous savez la vie n’est pas toujours ce que l’on veut qu’elle soit. »

Je tremble et m’attend à pleurer. Bien que je me concentre, une larme coule sur ma joue. « Je... Je sais.

— Vous espériez, moi et votre mère aussi, vous marier avec votre cousin.

— Oui père.

— Votre cousin. .. »

Il s’arrête un instant, ses yeux larmoient et je commence à pleurer un peu.

« Votre cousin est mort, Maria, le carrosse des gardes de Savonarole l’aurait écrasé en arrivant ici.

— Non... Ce n’est pas vrai... Vous... mentez ! »

J’éclate en sanglots dans ses bras, pourquoi tant d’injustice, ce n’est pas possible, tout cela est faux ! Comment une journée peut-elle si mal se terminer ?

« Malheureusement, non. Tout cela est vrai. »

Je cris alors, laissant s’échapper de mon creur tout mon désespoir.

« Pourquoi ?

— Ils m’ont dit que ce n’était qu’un accident. Mais ils m’ont fait comprendre que cet accident n’était pas fortuit... »

Je mets un moment à reprendre mon souffle, ce n’est pas fortuit, ils l’ont tué ! pourquoi ? Je les hais, je n’ai jamais autant haï quelqu’un qu’aujourd’hui. Je calme ma respiration et réussis à demander à mon père la raison de cette... exécution.

« Quel était son crime ? Pourquoi Alcéo... père... pourquoi ?!

— Maria, ton cousin aimait les hommes, il a aimé Michel-Ange, et c’est un artiste. »

Je comprends alors toute la personnalité de mon cousin, pourquoi il me parlait si souvent d’hommes, je me mets à courir, laissant mes parents seuls. Je descends l’allée de l’église, mon père me regardant pleurer et tomber dans les gravats de pierres blanches sait qu’il ne doit pas essayer de m’arrêter. Je tombe, je salis ma robe. J’évite l’allée où je risque de trouver, écrasé, son corps. Je saute dans le cimetière, déchirant ma robe et égratignant mes jambes. Là, devant la statue du séraphin, pleurant, je regarde le visage de mon aimé cousin. Je souris alors et nettoie mes larmes. Devant mes yeux, j’en suis presque sûre, les lèvres de l’ange bougent. Il me sourit, tristement, et ferme les yeux.

Ce 16 novembre 1497, sous le règne de Savonarole, un ange est mort.


(novembre 2009)

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