Les discours en vidéos
Bernard Beigner, recteur de l’académie de Paris : discours d’ouverture de la journée.
Monsieur le Président de l’École alsacienne, Monsieur le Directeur de cette même école, Messieurs, Mesdames et Messieurs les cadres de l’Éducation nationale et professeurs ici présents, Mesdames et Messieurs les parents d’élèves et puis les élèves qui ont pu être présents,
Je suis très heureux, comme vous venez de le dire, de vous accueillir dans ce lieu si insigne de l’université non seulement parisienne mais française, pour célébrer les 150 ans de cette École.
Unité républicaine et identité locale
Je sais, monsieur le directeur, que vous avez retenu cet amphithéâtre il y a bien du temps pour vous y préparer. J’ignore en revanche si vous avez volontairement fait cette solennité ce 1er juin 2024. Et peut-être sommes-nous peu nombreux à savoir que c’est une date très importante pour l’Alsace puisque c’est aujourd’hui la commémoration du centième anniversaire des deux lois du 1er juin 1924 qui ont réintroduit le code civil français, le droit français en Alsace mais également dans la deuxième loi qui ont consacré ce que l’on appelle communément le droit local. Et cette loi et ces deux lois sont très importantes. Dans 15 jours, je serai le rapporteur de synthèse à Strasbourg d’un colloque organisé pour tout cela.
Quand on regarde l’historique de votre école, il y a, me semble-t-il, deux choses qui apparaissent immédiatement et qui sont matière à réflexion pour nous tous, surtout dans la situation d’interrogation – de crise, peut-être – que notre pays connaît. Au fond, en 1924, la République n’a pas craint de reprendre à son compte le fameux argument que Louis XIV avait donné à son premier intendant royal lors de la réunion par le traité de Westphalie de l’Alsace à la France : « Ne touchez pas aux affaires de l’Alsace. » Et c’est une belle leçon de voir comment cette province, cette province autant que cette région, a su conserver une identité très marquée, très forte, très puissante, sans pour autant revendiquer son autonomie : on peut conserver au sein de l’unité républicaine qui est la nôtre, une identité locale, régionale, sans revendiquer quoi que ce soit d’autre, parce que la véritable identité ne cherche pas à se démarquer de l’unité nationale, elle la nourrit, elle la féconde, elle l’enrichit. Et nous le savons bien pour ce qui est de l’Alsace, qui a trouvé cet équilibre vraiment exceptionnel et qui sert à beaucoup d’exemples divers et variés. C’est d’ailleurs l’occasion de souligner, je reviendrai sur votre école, que le droit local alsacien, qui n’est pas que pour le régime des cultes réglementés, mais dans beaucoup de domaines, a inspiré le droit national. Le professeur de droit civil que je suis sait que la réforme de la procédure des cours d’appel vient de l’Alsace et a été inspirée par l’Alsace.
La deuxième chose, c’est en lien cette fois-ci avec votre école : le temps a passé, elle n’a plus sans doute sa vocation initiale, mais elle reste fidèle à ses racines et en particulier, votre devise est très riche de sens, ad nova tendere sueta, à savoir comment tirer d’une tradition de la nouveauté.
Une école tournée vers l’avenir
Et ce point est aussi important pour notre pays. On voit combien les jeunes aujourd’hui recherchent la racine et les traditions. Ils les recherchent tellement que souvent ils les inventent de toutes pièces pour être sûrs que ce sont les leurs. Le mot tradition ne doit pas faire peur. Il est un mot qui est tourné vers l’avenir, traderere : tendre la main, donner, puiser. Une tradition, c’est une racine féconde, ce n’est pas une branche morte. Lorsqu’une tradition devient une branche morte, on n’a même pas besoin de la couper, elle tombe d’elle-même. Mais lorsqu’elle reste, qu’elle doit être une racine puissante, elle défie le temps parce qu’elle porte en elle-même la part d’éternité qui transcende les générations.
Allier la personne de l’élève et le collectif
Or, votre école, en 150 ans, a fait un parcours admirable, fidèle à sa devise, qui est effectivement de savoir allier la personne de l’élève avec la construction d’un collectif.
Et en cela, c’est vrai que l’éducation dans le service public, qui a peut-être un peu trop privilégié parfois le collectif au détriment du personnel, doit s’en inspirer. Nous le voyons bien dans ce que l’un de vos anciens élèves, qui a été mon ministre il n’y a pas longtemps, a souhaité pour la réforme du collège. Je me dis que probablement il a puisé quelques idées rue Notre-Dame-des-Champs. Et en tout cas, on voit très très bien que lorsque il a dit que le collège unique ne doit pas être le collège uniforme, concrètement je crois que votre école est un très bel exemple de ce que le collectif doit se nourrir de la personnalisation et non pas l’éteindre. Et c’est un défi que nous avons évidemment à relever.
Alors, voici le dernier élément. On me disait hier : « Comment se fait-il qu’une école sous contrat soit accueillie à la Sorbonne ? » Je le dis, et je le dis à tous ceux qui sont ici rassemblés, la loi de 1959, qui est une loi très particulière, très française, au fond très baroque quelque part, mais à l’image du droit local alsacien-mosellan, c’est une loi qui, lorsqu’on a conclu un contrat, vous l’avez dit monsieur le directeur, l’école est dans l’Éducation nationale. Lorsqu’on a contracté avec le ministère de l’Éducation nationale, on n’est pas d’ailleurs à proprement parler une « école privée », on est une « école associée », puisque tel est le mot employé par la loi de 1959. Et lorsque le ministre que j’ai eu l’honneur de représenter, il y a maintenant quelques années, Vincent Peillon, ici même, avait demandé aux écoles sous contrat de mettre le drapeau français à leur fronton – alors bien sûr à l’École alsacienne, le drapeau français a un sens sans doute plus marqué qu’ailleurs – ce n’était pas pour une confiscation, c’était pour une association, c’est pour dire que ces écoles font partie du système éducatif pleinement, ayant leur place, avec ce fameux caractère propre que chacun cultive à sa manière.
Inspirer les autres
Et en cela, vos écoles, la vôtre, quantité d’autres, Jean-Michel Blanquer ici même l’avait rappelé, vous êtes le levain de la pâte. Vous êtes ceux qui peuvent montrer que dans le cadre républicain, dans le cadre national, on peut peindre des tableaux un peu différents et qui peuvent inspirer les autres. Et vous n’êtes pas à la marge. Vous êtes au contraire là pour montrer que l’on peut aller de l’avant avec une plus grande liberté peut-être que d’autres ont et dont on doit s’inspirer.
Pour tout cela, vous êtes fidèles à vos racines. Vous êtes donc promis un très bel avenir. Il y aura un jour, j’en suis persuadé, ici même, les 300 ans de l’École alsacienne. Il y aura beaucoup de choses de faites. Il y aura la perpétuité de ces élèves qui sont radieux – hier, nous l’avons vu – et qui lèvent tous la main quand on les interroge ! Il y a la fidélité de cette Alsace pleinement française, et elle est française parce qu’elle est alsacienne, de même que votre école est dans le système éducatif parce qu’il est sous contrat. Tout cela vous montre une chose très simple : il ne faut jamais confondre l’unité de la France avec son uniformité, c’est l’uniformité qui altère l’unité, c’est la diversité qui la nourrit.
Merci d’être un diamant de tout cela. Belle fête !
Alain Grangé Cabane, président de l’École alsacienne
Si l’on m’avait dit que je fêterais mes 150 ans… « Wow !»… comme disent les jeunes !
Non, bien sûr, mes chers amis, ce n’est pas moi qui parle ainsi. Je suis vieux, il est vrai, mais pas au point d’avoir un siècle et demi. Non, cet étonnement dont je viens de faire état, c’est celui de notre chère et belle maison.
L’espace d’un instant, je m’autoriserai donc à la personnaliser, à parler en quelque sorte en son nom et au nom de tous ceux qui la font vivre. À ce titre, nous avons quelques difficultés à vous cacher combien nous sommes fiers, heureux, mais aussi émus de vous accueillir, chers amis, à cet anniversaire.
Sans déflorer ce qui va suivre, je peux seulement vous dire combien nous nous réjouissons de vous rappeler nos origines – ça, d’ailleurs, commence d’être fait – d’évoquer quelques-unes des innovations que nous avons apportées et dont nous sommes modestement fiers, et de vous présenter certains de nos projets, et même certains de nos rêves.
Ce programme est le fruit d’une collaboration étroite entre nos élèves, leurs enseignants, leurs parents, les personnels de notre maison, les anciens élèves de l’école, plusieurs de nos administrateurs, tout cela sous la houlette de la direction de notre établissement que représente Pierre De Panafieu.
Tous ont eu à cœur de vous proposer le meilleur, de même pour cet anniversaire, et je les remercie donc en votre nom. Que donc la fête commence pour que vive l’École alsacienne !
Pierre de Panafieu, directeur de l’École alsacienne
Merci Monsieur le Recteur pour vos mots si justes dont vous avez voulu sentir l’exactitude en visitant l’École hier.
Merci Alain pour ton engagement désintéressé et pour la clairvoyance dont tu fais preuve dans la conduite de notre vieille maison.
Notre tradition est d’aller vers la nouveauté
Il y a au moins deux écueils à éviter quand on fête ses 150 ans :
- l’autosatisfaction : ce que nous avons fait tout au long de notre histoire était tellement exceptionnel que personne d’autre ne l’a fait ;
- la pétrification : l’École était à l’origine telle qu’elle est aujourd’hui et sera demain.
Georges Hacquard, directeur entre 1954 et 1986, avait bien compris en inventant la devise : ad nova tendere sueta, que l’on traduit par « notre tradition est d’aller vers la nouveauté ».
Et devise pour devise, voici celle de Jules Siegfried, président de l’École entre 1905 et 1922 (on lui doit le jardin d’enfant et la mixité filles garçon à l’École), devise qu’il fera graver sur sa pierre tombale : « agir c’est vivre ».
Nous voulons une fête pour cet anniversaire qui soit à l’image de notre maison :
- Une fête qui permet la rencontre et l’échange : il y aura des témoignages, un débat, des représentations théâtrales et musicales. La création et la coopération iront donc de pair et seront à l’honneur.
- Une fête qui donne une image fidèle de l’École, avec ses forces, ses faiblesses, ses contradictions. C’est pourquoi les différents moments de cet après midi seront scandés par de courts films réalisés par Olivier Fainsilber et Yann Legargeant qui livrent l’image du kaléidoscope qu’est l’École
- Une fête qui nous aide à comprendre d’où nous venons pour nourrir l’envie de construire un avenir commun, car il reste tant à faire. Nous pensons qu’enseigner la confiance en soi aux élèves, et l’aptitude à faire confiance à autrui, aptitudes sans lesquelles aucune œuvre collective n’est réalisable est un point important de notre pédagogie. D’ailleurs un journaliste n’a-t-il pas noté, il y a quelques années chez nos élèves, une tranquillité face au monde qu’il jugeait pour sa part anormale ?
- Une fête qui témoigne du dynamisme de notre institution, vouée tout à la fois à la transmission de la culture et à la préparation de nos élèves à agir dans un monde que personne ne connaît.
Le goût de l’ouverture, le refus de l’intolérance, le respect des richesses nées du dissemblable
Transmission d’une culture authentiquement humaniste, que Georges Hacquard définissait comme « le goût de l’ouverture, le refus de l’intolérance, le respect des richesses nées du dissemblable ». Son successeur, René Fuchs, directeur entre 1988 et 2001 que j’ai le plaisir de retrouver ici alors qu’il m’a tant appris quand j’étais, onze ans durant, son adjoint, le rejoint quand il évoque « Le souci d’une formation aussi large que possible, autant littéraire et artistique que scientifique et linguistique, d’une formation qui s’appuie sur le plaisir d’apprendre autant que sur le travail et l’effort ».
Une culture qui, grâce à la coopération, s’enrichit du dissemblable, entre les âges par le programme entraide, entre les élèves qui rencontrent des difficultés et les autres, entre les élèves provenant de milieux sociaux et culturels différents.
Une culture républicaine qui défend l’égalité des chances de chacun, quelles que soient ses origines, son lieu de naissance ou ses convictions religieuses ou son absence de conviction religieuse. Et qui oeuvre au service de notre système éducatif. Cette manifestation dans ce lieu, cent ans après le cinquantenaire célébré ici même, le rappelle.
Une culture enfin ouverte sur le monde et profondément européenne au moment où la guerre réapparait sur son sol, à ses marges orientales. Permettez moi d’évoquer ici la mémoire d’un ancien élève, Christian Pineau, qui était en 3ème en 1918 et qui fut co fondateur du mouvement Libération Nord en 1940, premier représentant de la résistance intérieure à rencontrer en 1942 le général de Gaulle à Londres, et signataire du traité de Rome en 1957 qui créa la Communauté économique Européenne. Grâce au Souvenir Français, et à madame Marcinkowski-Couturier, présidente nationale de l’association Libération Nord, l’Ecole est fière d’être la gardienne d’un des drapeaux de Libération Nord ; une délégation d’élèves lui a rendu hommage sur sa tombe au cimetière du Père Lachaise lundi dernier dans le cadre de la journée nationale de la Résistance.
Vous cherchez toujours
Une école qui cherche, jours après jours à être fidèle au programme défini par son premier instituteur Frédéric Braeunig : « Intéresser, instruire, faire penser, réfléchir ».
Pour terminer, je voudrais rappeler ce que son premier directeur, Frédéric Rieder, disait : « Il n’y a qu’une manière de réussir dans le monde, c’est d’y apporter sa part d’originalité, quelque petite que puisse être cette part… ». La vocation de l’École est bien de faire réussir ses élèves dans le monde, mais pas pour en retirer quelque bénéfice personnel, mais pour apporter quelque chose à la collectivité et cette chose est “sa part d’originalité”, c’est à dire ce que chacun a de singulier en lui au lieu de tenter d’imiter ce que font les autres. Même si cette part est minime parce que Rieder était modeste et réaliste.
Paul Bert, futur ministre de l’instruction dans le gouvernement de Gambetta, en 1881, nous avait donné la marche à suivre et je lui donnerai le dernier mot : « vous chercherez encore, et vous trouverez encore, et vous chercherez toujours ».
J’espère que cet anniversaire vous convaincra que nous lui avons été fidèles.