💬 Vous êtes-vous déjà demandé par quelle chance nous n’avions pas cours le samedi matin ? Cet aménagement des emplois du temps scolaire date de l’année 1973-1974 et a été mené grâce au comité quadripartite, un organe essentiel de l’École.
Le comité quadripartite est une instance originale née à l’École après les événements de mai 1968. Un père d’élève américain proposa au directeur de l’époque, Georges Hacquard, de créer un lieu où les quatre composantes de l’École pourraient dialoguer : communauté éducative, parents, élèves et direction. Le comité “répond à la volonté d’une remise en question et d’une mise à jour permanente et concertée des objectifs de l’éducation et du rôle de l’École dans le monde”, ainsi que le définit le premier article de son règlement. Il vise donc à réfléchir et à échanger sur tous les sujets liés à l’École. Son rôle est consultatif, ce qui, lors de sa création, a amené les élèves à refuser d’y siéger, et ce jusque dans les années 1980.
Pierre de Panafieu explique le rôle du comité quadripartite en ces termes : “Dans une école, il est important de pouvoir échanger et débattre car les points de vue ne sont pas forcément les mêmes. Les interrogations et les préoccupations des élèves, tout particulièrement, ne sont pas forcément perceptibles par les adultes, que ce soit les parents, les professeurs ou la direction. De plus, le comité quadripartite permet d’aborder des sujets que l’on ne peut pas traiter ailleurs. Par exemple, si les élèves trouvent que les exigences sont trop fortes, il est bien qu’ils puissent s’exprimer. Il l’est aussi qu’ils puissent entendre les attentes des professeurs et la raison de leurs exigences, et les parents également, entre ceux qui vont être plutôt sensibles à l’argument des élèves et ceux qui sont très ambitieux pour leurs enfants. À la fin d’une discussion comme celle-là, je pense qu’il est intéressant de pouvoir dépasser cette simple notion d’exigence et de faire comprendre à toutes et tous que l’exigence est aussi une marque de confiance : être exigeant vis-à-vis des élèves signifie que l’on est confiant dans leur capacité de progresser, et, au fond, c’est ça, le rôle de l’école. Lors du débat, on peut donc arriver avec une question qui est très prenante et angoissante pour les élèves et, par le dialogue, permettre à tout le monde de s’élever et de voir les choses avec un peu plus de discernement. En ce moment, le comité quadripartite réfléchit au bien-être des élèves : il y a de nombreux sujets auxquels, à la direction, nous n’allons pas forcément spontanément être attentifs et à propos desquels l’École peut sûrement progresser. Mais, en réfléchissant à cela, les élèves vont aussi apprendre des choses car, pour avoir vraiment confiance en soi, il vaut mieux avoir appris à dépasser des difficultés plutôt qu’être toujours dorloté et conforté. Voilà l’utilité du comité : il permet à chaque partie de l’École de prendre conscience des préoccupations et des réponses des autres familles de l’École.”
Voilà l’utilité du comité : il permet à chaque partie de l’École de prendre conscience des préoccupations et des réponses des autres familles de l’École
Pierre de Panafieu
Brice Parent, directeur du collège et du lycée, rappelle que la question du lien entre l’École et les parents est cruciale : “C’est sans doute l’instance la plus importante parce que tout le monde est représenté – à la différence des autres comités. Un établissement scolaire est un lieu d’éducation des élèves, donc à destination des élèves. Pour bien remplir cette tâche, il faut de la co-éducation qui se mène avec les parents. Notre mission est de vous rendre toutes et tous des futur.es citoyennes et citoyens libres, heureux et responsables. Pour y parvenir, nous devons nécessairement être en discussion, en échange, avec les parents d’élèves. Si l’on veut discuter de questions vraiment importantes, il est difficile, voire impossible, de le faire sans les élèves : vous êtes les premiers concernés ainsi que les parents, et puis, évidemment, les professeurs. Le comité quadripartite est cet espace vraiment formidable où tout le monde peut échanger, et sur un pied d’égalité. Durant les séances, chacun a le droit à la parole et chaque point de vue est considéré.”
Le comité quadripartite est composé de douze représentants du personnel, soit neuf professeurs répartis entre le Petit Collège (trois) et le Grand Collège (six), et trois membres du personnel non-enseignant (un pour le primaire et deux pour le secondaire), sept parents d’élèves représentants de l’APEEA, douze élèves des classes de 3e, 2de, 1re et Terminale, ainsi que des membres de l’équipe de la direction, non élus. Les différents membres, qui incarnent des points de vue variés, se réunissent tous les mois pour aborder les questions de la vie de l’École de manière collective. L’activité du comité quadripartite porte cette année sur trois thématiques : le règlement, le bien-être et les innovations pédagogiques, choisies après une délibération commune. Les représentants se sont répartis en trois commissions en fonction de leurs affinités.
Clémence Bourdier, professeure de Lettres à l’École, rapporte que “le comité quadripartite […] permet, dans une grande spontanéité, de discuter de sujets qui nous tiennent à cœur. Nous pouvons en parler simplement, franchement, et ainsi modifier nos points de vue initiaux ou faire évoluer ceux des autres familles, selon les cas.” Carole Checri, membre élue de l’APEEA, considère que “réfléchir ensemble, construire à quatre, collaborer, communiquer, écouter les autres, crée une synergie. Plus les points de vue sont variés, plus les résultats sont exceptionnels.”
Chaque membre du comité a à cœur de représenter sa famille et de contribuer à la réflexion collective. En tant que professeure, Clémence Bourdier est en relation permanente avec les trois autres familles. Elle témoigne de sa conception de son rôle dans l’instance : “Je pense qu’en tant que professeure au comité quadripartite je dois rappeler l’importance des enjeux pédagogiques et éducatifs, expliquer certains choix, certaines positions qui reposent sur des principes qui ne sont pas forcément familiers pour les autres familles.” La place des élèves, de même, est essentielle, comme en témoigne Ambre B., élève de Terminale : “En tant qu’élèves, nous pouvons pleinement prendre part à la vie de l’École. En effet, de nombreux sujets ayant un impact sur la vie de l’École sont discutés, tel que le règlement ou le bien-être des élèves pour ne citer qu’eux. Il est primordial que les élèves puissent apporter leurs avis sur des sujets qui les concernent pleinement. Cette instance est également un bon endroit pour proposer des projets à l’ensemble de la communauté scolaire. Des projets venant d’une classe ou d’un niveau peuvent être portés par les représentants élèves du comité afin qu’ils soient mis en lumière et connus par l’ensemble de la communauté scolaire. Même si cela prend du temps, les projets finissent souvent par aboutir, comme le projet EntrAide qui, rappelons-le, est issu du comité quadripartite.”
Ces différents entretiens montrent à quel point le comité quadripartite constitue un lieu d’expression et d’échange sans barrière. Pour Ambre B., “lors des discussions, la parole des élèves a autant d’importance que celle des autres familles. C’est un lieu qui a un impact sur la vie de l’école, un lieu de discussion très important où la parole des élèves est écoutée et où nous prenons pleinement part au débat.” Ainsi est créée une unité dans la communauté scolaire : “une école à l’écoute, qui fait participer les différents protagonistes” (Carole Checri).
Au fur et à mesure des années, le CQ, ainsi qu’il est surnommé, soulève des problématiques relatives à l’évolution de l’École avec la société afin d’accompagner le mieux possible les élèves. Pierre de Panafieu souligne que “les préoccupations du comité quadripartite à la fois sont permanentes et marquent des évolutions. Elles sont permanentes à travers la défense de certaines valeurs de l’École, qui sont aussi celles de la République. Par exemple, en 2001, lors des attentats contre le World Trade Center, un élève nous a fait part de remarques racistes à son encontre parce qu’il était d’origine arabe. Le jour même, le comité quadripartite s’est réuni, a fait un communiqué pour rappeler à tous les valeurs de tolérance de l’École et on s’est retrouvé – il n’y avait pas encore de courrier électronique – à le mettre sous enveloppe très vite. Nous trouvions extrêmement important, après le choc qu’a été cet attentat, de pouvoir rappeler solennellement ces choses. Le comité quadripartite est le lieu où l’on peut rappeler le respect des règles fondamentales de vie en commun, de tolérance, d’attention aux autres et d’acceptation des différences. Il y a aussi des choses qui évoluent. Par exemple, dans ces années-là, les questions concernant le genre ne se posaient pas du tout, contrairement à maintenant. Ainsi, si quelqu’un estime que son genre est autre que son identité sexuelle de naissance et qu’il préfère, après avoir vu des psychologues, des médecins et, si les parents sont d’accord, être appelé autrement, c’est la loi, mais il faut que l’on puisse en parler au comité quadripartite. Ceci ne veut pas dire qu’on va s’intéresser à toutes les lubies du moment mais savoir quelle est son identité est important dans la formation d’une personne. De même, sur l’égalité des sexes : l’un des sujets sur lequel je pense que le comité quadripartite devra réfléchir est de savoir pourquoi, malgré tous les efforts qui sont faits, il y a toujours une proportion aussi faible de jeunes femmes qui choisissent de suivre des études supérieures scientifiques. C’est bien qu’il y a des schémas qui restent très forts, quoique nous tentions de les contrecarrer. On voit que, encore cette année, on a à peu près autant de filles que de garçons qui vont faire des études scientifiques mais, lorsqu’on regarde dans le détail, les filles s’inscrivent en médecine ou en études de biologie. Les écoles d’ingénieurs restent des domaines presque réservés aux hommes. Pourquoi ? c’est absurde. Autrefois on trouvait ça normal mais aujourd’hui on se dit que l’on gagnerait à avoir plus de femmes ingénieures. Et puis c’est inacceptable de se dire que certains métiers sont préemptés par tel sexe ou tel autre, ce n’est pas juste.”
Le comité quadripartite rend possible la réflexion sur des sujets, des préoccupations et des problèmes qui n’ont pas toujours la même importance, valeur ou évidence du fait de notre âge ou de notre formation. Ce dialogue collectif permet de rester à l’écoute et d’évoluer comme il ne serait possible nulle part ailleurs.
Afin de représenter au maximum la communauté scolaire de l’École, le Comité fait constamment l’objet d’améliorations. Brice Parent, qui siège au Comité depuis une vingtaine d’années, d’abord comme professeur, puis comme directeur, revient sur plusieurs d’entre elles. Il considère que l’une des évolutions les plus importantes tient à l’implication croissante des élèves dans le fonctionnement du comité : “Tout d’abord, nous avons modifié le mode d’élection. Avant, les délégués de classe étaient séparés de ceux du comité quadripartite : il y avait deux élections qui n’avaient rien à voir. Il nous a semblé que le rôle de délégué était très important et qu’il ne pouvait pas y avoir d’un côté des délégués et de l’autre des super-délégués, et qu’avant tout il fallait des délégués de classe, et que certains d’entre eux pouvaient siéger au comité quadripartite. Ceci signifie que tous les délégués du comité quadripartite savent en quoi consiste le rôle de délégué. Je pense que cela permet d’avoir des élèves qui participent aux heures de vie de classe, qui les animent, qui s’intéressent à la vie de leur classe au quotidien. Nous avons donc la chance d’avoir des élèves qui sont très proches et très impliqués dans le fonctionnement de la vie de l’École.
Il y a une autre évolution importante, qui est encore juste à l’état d’expérimentation, même si nous en parlons depuis très longtemps : il s’agit de réfléchir aux modalités d’intégration d’élèves plus jeunes au comité quadripartite. Il existe des réticences mais je pense qu’il est vraiment très important d’entendre des élèves de 6e, de 5e, de 4e, et aussi à terme des élèves du primaire, nous donner leur avis. Encore une fois, la valeur du comité quadripartite réside notamment dans la présence des élèves. Par conséquent, je suis très heureux que cette année nous menions cette expérimentation.”
L’organisation du comité a également été revue afin d’en améliorer le fonctionnement : “La richesse du comité quadripartite tient au fait que les élus sont assez nombreux et qu’ils représentent toutes les familles, sa limite au fait que souvent, d’une séance à l’autre, les représentants ne sont pas les mêmes. Pour remédier à ce problème – il s’agit seulement d’organisation – nous fixons désormais un jour dans la semaine, le lundi cette année, pour essayer qu’à peu près tout le temps les mêmes personnes soient présentes. Cette solution ne réussit pas toujours mais le fonctionnement en a quand même été amélioré. En outre, on a essayé chaque année d’apporter des réalisations concrètes, de faire en sorte que le Comité aboutisse à un résultat. Je sais qu’il peut être frustrant pour les élèves qui sont élus seulement pour une année de ne pas voir où l’on arrive, bien que parfois ce ne soit pas possible, ainsi en est-il du règlement qui a pris plusieurs années pour avancer. Nous essayons de réaliser une action concrète chaque année.”
Citons quelques-unes des actions mises en place comme l’aménagement du calendrier scolaire (1973-1974), une enquête sur le travail à la maison (1987-1988), une initiation au chinois en 10e (1993-1994), des cours de secourisme (1996-1997), une réflexion sur le développement durable à l’occasion de la COP21 (2015-2016) ou l’organisation de journées quadripartites.
Nous avons demandé aux différents membres des quatres familles de l’École quelles initiatives leur avaient le plus tenu à cœur. Pour Pierre de Panafieu, c’est le travail réalisé sur la révision du règlement de l’École, qui est vraiment une question quadripartite car “il concerne tout le monde au quotidien. Il y a un certain nombre de règles qui sont précisées dans le règlement et que nous suivons tous, comme le respect du calendrier scolaire. La refonte du règlement est quelque chose d’important car cela signifie un point d’accord sur comment vivre ensemble dans l’École, dans le respect de chacun mais aussi en tenant compte d’un certain nombre d’exigences. Lorsque je suis arrivé en tant que professeur à l’École, j’étais élu au comité quadripartite et nous avons fait un travail sur le règlement. En 1986, il y avait, en effet, un règlement pour le primaire, un pour le collège, un autre pour les classes terminales, et il n’y avait pas d’unité. Nous avons pensé qu’il fallait un règlement commun à tout l’établissement. Il s’est agi d’un très gros travail et je suis content que celui-ci soit remis en question et que l’on puisse continuer à travailler sur l’actualisation du règlement, car je crois que c’est le texte le plus important de l’École.” Clémence Bourdier, de même, a été particulièrement marquée par ce travail d’actualisation : “Il faut faire évoluer ce règlement, tenir compte de certains changements, tout en veillant à un bon équilibre entre contraintes et libertés pour que chaque individu se sente bien et à sa place à l’École.”
Brice Parent, quant à lui, parmi de nombreuses initiatives, a été particulièrement sensible à celle concernant le harcèlement scolaire : “il y a très longtemps, on avait organisé une journée quadripartite qui s’appelait “Moi et les autres” sur cette thématique du harcèlement, c’est un mot que l’on employait moins qu’aujourd’hui. Je pense que la mobilisation des élèves, des parents, des professeurs autour de ce thème, à commencer par le comité quadripartite et puis ensuite par toute l’École, a vraiment permis d’avancer et de mieux traiter ces situations. Cela ne signifie pas que tout est parfait, hélas il y a et il y aura toujours des situations de harcèlement. Il y aurait d’autres initiatives à souligner, je pense notamment à la question de l’égalité entre filles et garçons qui est un sujet crucial, et là encore il reste beaucoup de travail.”
Ambre B., de son côté, se souvient d’une initiative prise il y a trois ans : “fin 2020, nous avons axé notre travail sur le recensement de l’ensemble des actions citoyennes de l’École. Nous sommes en effet partis du constat que de nombreuses activités, associations et clubs cohabitent au sein de l’École sans forcément être connus des élèves. Nous avons donc contacté l’ensemble des représentants de ces différentes activités pour créer la liste la plus exhaustive possible. Ce recensement a donné lieu à des échanges très intéressants avec les différents membres de ces activités qui nous ont expliqué leurs actions. Et cela m’a vraiment permis de me rendre compte de l’étendue et de la diversité des actions humanitaires et écologiques de l’École. Enfin, même si ce projet n’a pour l’instant abouti qu’à un simple tableau Excel regroupant toutes ces actions citoyennes, nous comptons relancer ce recensement afin de mettre à jour les informations et de pouvoir les diffuser à l’ensemble de la communauté scolaire avec l’objectif de favoriser la communication et la visibilité de ces actions.”
Enfin Carole Checri, en tant que membre extérieur ayant récemment intégré le comité, a particulièrement apprécié “les journées quadripartites organisées autour des thèmes « Évaluation et formation de l’individu », « Moi et les autres », « l’École dans 14 ans »” et elle “trouve qu’il faudrait d’ailleurs organiser d’autres journées du même type. Cela permet de faire participer les personnes qui ne sont pas membres du Comité quadripartite et donc permet une réflexion plus élargie et plus riche.”
Cette instance singulière et essentielle n’a cessé d’informer et d’enrichir l’École et nous espérons qu’elle continuera son action pour la communauté afin d’avoir une école ouverte, stimulante et épanouissante.
Venise Balazuc- -Schweitzer
Un article des Cahiers de l’École alsacienne.